La rénovation énergétique du bâti ancien – À l’épreuve du compromis, l’exemple des copropriétés

« Les Marelles » au Val d’Yerres - La résidence après travaux.
« Les Marelles » au Val d’Yerres - La résidence après travaux.

Lors de la table ronde du 6 juillet 2023 organisée au Conseil national de l’ordre des architectes sur la thématique « La place de l’architecte dans la rénovation énergétique », l’association nationale des architectes des bâtiments de France a souhaité donner la parole à des professionnels engagés pour une rénovation plus respectueuse du bâti ancien. Cet article propose une synthèse du propos de Messieurs Alexandre Vitry et Pierre-Alain Uniack. Sur la base de quelques exemples de rénovation thermique en copropriété, ils font état d’un milieu exigeant, « la plus petite parcelle de démocratie participative », où chaque décision est largement concertée.

Pierre-Alain Uniack est architecte au sein du cabinet Artexia, co-fondateur et ancien président président de la compagnie des architectes de copropriété, association qui réunit plus d’une centaine de cabinets d’architectes indépendants spécialisés dans les interventions sur les immeubles en copropriété.
Alexandre Vitry est architecte au sein de l’atelier Maison Verte, président de l’association des architectes de copropriété.

Un immeuble, un architecte

Le mode de pensée n’est pas unique, les cas présentés sont symptomatiques des injonctions contradictoires qu’oppose la massification d’un modèle de rénovation à la spécificité des productions passées. La résidence des Marelles Val d’Yerres à Boussy-Saint-Antoine est une construction de 1974, expérimentale à bien des égards, conçue par l’architecte George Maurios, entre préfabrication et co-construction. Sur des structures de plan libre en poteau-poutre creux, intégrant l’ensemble des fluides, chaque logement adopte son propre plan d’aménagement.

« Les Marelles » au Val d’Yerres - plateau libre en attente d’aménagement, 1974, DAF, CAPA, Archives Maurios. © Agence Catherine Ferry-Wilczek. Maître d’ouvrage : syndicat des copropriétaires.

Portée par l’architecte Catherine Ferry-Wilczek, la rénovation de cet ensemble prend le parti d’une isolation thermique par l’extérieur en préservant les caractéristiques formelles d’origine.

Le projet nécessite de traiter le détail de très nombreuses singularités, ventilations, amenées d’eau, altérations des menuiseries et structures secondaires en bois, amiante, occultations, infiltrations en terrasses, jardinières…

La question des menuiseries est généralement un point de difficulté pour les rénovations en copropriété. Le règlement de copropriété fait foi, et détermine généralement ces éléments comme étant des parties privatives du logement. Le législateur a prévu un cas d’expropriation temporaire , mais qui est très peu mobilisé car il génère des tensions importantes. Pour ce projet, les menuiseries n’ont pas été remplacées.

Les outils de l’architecte sont aussi le moyen de mieux faire connaître leur immeuble aux occupants, pour lesquels la notion de collectif s’arrête en général à la porte palière. Ils prennent ainsi conscience des interdépendances entre les différents logements, partageant la vision globale de l’architecte.

« Les Marelles » au Val d’Yerres - Maquette du projet, permettant de poursuivre la logique de préfabrication dans le découpage des panneaux de bardage en fibres-ciment.

La communication est un point clé de réussite, l’architecte partageant ses idées, parfois dans un temps long, car convaincre peut prendre du temps. Sur ce type de bâti du XXe, la question des ayants-droits est aussi un sujet, pour s’assurer de leur accord au projet relativement à leur propriété intellectuelle.

« Les Marelles » au Val d’Yerres - La résidence après travaux.

Le chantier est finalement le cadre de tous les ajustements, avec une entreprise qui s’est ici investie dans le traitement de l’ensemble des détails et singularités.

Le principe de réalité

Les projets suivants sont des rénovations réalisées par l’agence Artexia sous la conduite de Pierre-Alain Uniack. La tour Bologne à Paris est un immeuble de grande hauteur (IGH) de trente et un étages, construit par l’architecte Jean Sebag en 1975. L’assemblée générale des copropriétaires se tient en cinq langues, avec des habitants qui n’ont pas nécessairement pour habitude de parler entre eux, dans des logements parfois extrêmement remaniés dans leurs cloisonnements.

Le projet d’origine consistait en un simple ravalement, avec traitement des bétons et des mosaïques fortement altérées, présentant des carbonatations avancées et des fers affleurants.

Tour Bologne, Paris - Repérage des pathologies du béton et des revêtements - 2015

C’est finalement la découverte d’amiante dans la colle des mosaïques qui a conduit à adopter un parti d’ITE, qui permettait également de mobiliser des aides relativement au gain d’isolation.

Tour Bologne, Paris – La façade en travaux. © Agence Artexia. Maître d’ouvrage : syndicat des copropriétaires.

Le système de fixation de l’isolant par pisto-scellement utilisait un dispositif de poche de gel permettant d’éviter toute dispersion des fibres d’amiante.

Tel un vétérinaire qui soignerait un éléphant comme cet immeuble, et le lendemain une très vieille petite souris, la diversité des situations amène à avoir un panel large d’observation, à éviter le recours à des raisonnements systématiques, à garder un esprit ouvert.

La valeur esthétique

Les immeubles de rapports de Pantin datent des années 1860. Ils ont été repris par la commune qui les ont transformés en logements sociaux, aujourd’hui propriété du bailleur VILOGIA. Les photographies anciennes, qui datent du début du XXe siècle, donnent à voir un décor de bandeaux, des gardes corps en fonte et des contrevents, pour une présentation urbaine de qualité minimale.

L’ensemble immobilier au début du XXe siècle (à gauche sur la carte postale ancienne)

Après-guerre, on a pioché l’ensemble des plâtres, on l’a remplacé par un enduit ciment très riche, et les pathologies dues à l’absence de parois perspirantes ont commencé. En 1996, peut-être sur des financements publics de type PALULOS1 , on a isolé par l’intérieur avec du polystyrène sans aucune précaution, aggravant encore la situation.

L’ensemble immobilier au début du XXIe siècle, avant rénovation.

C’est donc un immeuble proprement sinistré, du fait de mauvais travaux qui ont pourtant parfois obtenu par le passé des financements importants, sur lequel on intervient in fine, présentant de graves problèmes de condensation à l’intérieur des murs de façade devenus parois froides.

La réhabilitation en site occupé s’est avérée impossible au vu de l’ampleur des travaux nécessaires pour reprendre les pathologies constatées. Les occupants ont été relogés, les planchers ont été intégralement repris avec un procédé de plancher collaborant Lewis2 , associé à un béton structurel léger Laterlite contenant de l’argile expansé, qui permet d’éviter une surcharge de la structure (et qui évite de lourdes reprises de fondation). Une isolation extérieure mesurée a été mise en œuvre, en réintégrant le décor de bandeaux. Le motif des gardes corps en fonte a été restitué par découpe laser..

Le même immeuble après rénovation. © Agence Artexia.

Des modes de pensée

La massification, on l’a compris, ne peut être l’application d’une pensée unique. Les écueils sont nombreux : la technologie ne peut pas tout, les systèmes sont fragiles, les montages complexes. La diversité des situations nécessite une diversité de réponse, et c’est une massification des solutions singularisées qu’il faudrait viser. Nous terminons sur une citation d’Albert Einstein : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré ».

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